Bob Marley : dix ans d'attente et de frustration
Quand il enregistre le morceau culte, Bob Marley est déjà musicalement expérimenté. Cela fait plus de dix ans qu'il tente de se faire connaître aussi bien dans sa Jamaïque natale qu'aux États-Unis, qu'il rejoint en 1966 pour accompagner sa mère. Avec son groupe The Wailers, fondé avec son ami d'enfance Bunny Wailer, il a traversé sans succès une période ska puis rocksteady, avant d'embrasser définitivement le reggae. Grâce à son ami de toujours Lee "Scratch" Perry, il fait la connaissance du producteur Chris Blackwell, fondateur d'Island Records à Kingston, institution du ska. Blackwell est anglais, mais il est né d'une mère jamaïcaine, riche héritière de la haute société. Comme Bob Marley, il partage une croyance profonde dans le mouvement rastafari, depuis que des pêcheurs rastas lui ont sauvé la vie dans sa jeunesse. Blackwell perçoit le charisme de Bob Marley, et le convainc d'enregistrer deux albums, en lui proposant de renommer le groupe : The Wailers devient Bob Marley and The Wailers.
Un passeur nommé Eric Clapton
Les Wailers ont alors enregistré deux albums : "Catch a Fire" en 1972, puis "Burnin'". C'est sur ce dernier que l'on retrouve le mythique morceau de Bob Marley "I Shot the Sheriff", raconté du point de vue d'un homme confessant avoir tué le shérif local mais pas son adjoint, meurtres dont il est accusé. Inspiré par des histoires de policiers assassinés à Kingston, le morceau est un succès en Jamaïque, consacrant Marley comme une star nationale (il avait déjà atteint la première place des charts avec "Trenchtown Rock" en 1971). Dans un monde secoué par la guerre du Vietnam, Mai 68 et le Printemps de Prague, l'idéologie rasta, libertaire et pacifique, est parfaitement dans l'air du temps. Si Blackwell propulse le titre en Angleterre, le morceau tombe aussi dans l'oreille du Britannique Eric Clapton. En vacances en Jamaïque pour se remettre d'années d'excès, le guitariste génial tombe sous le charme de la chanson, et décide de la reprendre sur son album, "461 Ocean Boulevard".
Quand la France tomba folle de Bob Marley
L'album est un succès, se classant numéro un des ventes aux États-Unis et au Canada et se hissant sur le podium en Angleterre. "I Shot the Sheriff" reste 14 semaines au Billboard américain, et le monde entier découvre alors la version de Clapton et l'originale de Bob Marley. Alors que les Wailers se séparent douloureusement, Bob Marley entre en studio et signe son premier album solo, toujours pour Island Records, "Natty Dread". Militant et politique, l'album s'accompagne d'une tournée mondiale triomphale dans la foulée de "No Woman No Cry". La France n'échappe pas à la folie Bob Marley : "Natty Dread" sera certifié disque d'or, de même que "Burnin'" a posteriori en 1992. Le titre a même connu une adaptation française : c'est à un grand nom du reggae, l'Ivoirien Alpha Blondy, qu'on la doit en 2013, sous le titre "J'ai tué le commissaire", sur l'album "Mystic Power".