Un groupe mythique qui traverse les décennies
Comme on peut dire dans le milieu viticole, 1965 a été un très grand cru, en particulier au niveau musical, car le monde a pu découvrir : "Yesterday" des Beatles, "California Girls" des Beach Boys, "My Generation" interprété par les Who, "Like A Rolling Stone" de Bob Dylan et enfin, la non moins mythique chanson "Satisfaction" des Rolling Stones. Que du culte, difficile de rivaliser.
La chanson "Satisfaction", ce sont principalement trois notes de guitare, mais des notes légendaires. Trois accords sortis d’un esprit génial, repris et réinventés dans tous les styles, adaptés à tous les tempos, sur tous les continents et cela, depuis plus de 50 ans. L’introduction et le refrain sont peut-être certains des plus connus au monde.
Comment ce succès fait-il pour durer depuis plusieurs décennies ? Au-delà justement des détournements marketing, le groupe de rock mythique des Rolling Stones est considéré aujourd’hui comme l'un des plus grands de l’histoire. Ses membres sont, quant à eux, assimilés à des génies intemporels. Leur succès est dû à leur talent respectif, mais également à leur alchimie collective, et certaines de leurs chansons, comme "Satisfaction", ne disparaîtront probablement jamais. Avec ses paroles cinglantes qui critiquent la société de consommation et ce riff inoubliable et irréprochable, on est devant ce que l’on pourrait appeler un tube planétaire incontestable.
Le plus ironique, c’est que ça ne s’est joué à presque rien pour qu’on en soit privé. Il a fallu des circonstances bien particulières et une bonne nuit d’insomnie pour que le guitariste du groupe, Keith Richards, trouve l’inspiration.
Une insomnie pour un tube planétaire
En mai 1965, Keith Richards, ne possédant pas d’appartement, prend une chambre à l’hôtel Hilton, au cœur de Londres. Les rémunérations des tournées et les rétributions provenant des ventes de disques ne lui permettent pas encore de flamber ses pounds. Il se contente pour l’instant d’investir dans des amplis, des vinyles et des guitares, mais pas encore dans un logement.
Cette nuit-là, dans sa chambre d’hôtel, il finit par s’endormir, mais d’un sommeil léger, perturbé. Soudain, il se redresse sur son lit tel un diable sortant de sa boîte, submergé par la créativité. Il racontera même par la suite : "Je me suis réveillé en pleine nuit, avec un riff dans la tête. J’ai pensé : il faut que j’enregistre ce truc. J’ai enregistré un couplet, et apparemment, je me suis rendormi. Parce que quand je me suis réveillé le matin, la bande s’était déroulée. Je l’ai passée pour l’écouter, il y avait trente secondes de 'Satisfaction' vraiment très brutes puis un 'clang' de guitare et 45 minutes de ronflements." C’est donc à moitié réveillé, au beau milieu de la nuit, que le guitariste des Rolling Stones a imaginé ce riff si puissant.
Et le pire, c’est qu’au départ, Keith Richards ne voulait pas en faire un single, car ce titre lui rappelait trop celui de Martha & The Vandellas, "Dancing In The Streets".
Un effet fuzz pour un riff culte
Car à la base, le guitariste imagine le futur tube comme une ballade folk, avec un piano. Mais une fois aux États-Unis, quelques jours plus tard, la chanson va petit à petit se construire différemment. Dans son esprit, Keith Richards imagine le morceau en mode rhythm'n'blues, accompagné de cuivres. D’après ses dires, le résultat final se serait rapproché de la manière dont Otis Redding a fait une reprise de "Satisfaction" cette même année 1965.
Mais une fois en studio, à force de tester différentes combinaisons pour ce riff, on fait découvrir à Keith Richards la pédale à effet fuzz de chez Gibson. Cela apporte à sa guitare un son gras et strident qui rendra la chanson "Satisfaction" si reconnaissable par la suite. La guitare de Keith Richards vient de faire naître le rock en colère. D’après Steven Van Zandt, guitariste du groupe E Street Band, "tout le monde a déjà entendu ce riff. C’est l’un des témoignages les plus anciens de l’influence de Bob Dylan sur les Stones et les Beatles. Le degré de cynisme, et cette idée d’incorporer des paroles plus personnelles venues du folk et du blues dans la musique populaire".
Mick Jagger, de son côté, a eu le temps d’écrire les paroles. Le duo Jagger/Richards, surnommé les Glimmer Twins (les jumeaux étincelants), a toujours eu du mal à composer des textes de chansons. Au départ, le groupe des Rolling Stones est un groupe de reprises. Son premier album en est entièrement constitué. C’est pour cette raison que ses membres doivent leurs premiers succès aux Beatles. John Lennon et Paul McCartney leur ont même cédé la chanson "I Wanna Be Your Man". Le tout premier morceau que Mick Jagger et Keith Richards ont réussi à produire est "As Tears Go By". Leur producteur de l’époque, Andrew Loog Oldham, a dû les enfermer de force dans une cuisine car, sûr de leur talent, il était exaspéré par leur non-productivité.
Un titre pour la jeunesse anglaise
Dans le courant des années 1960, la jeunesse anglaise souhaite plus de liberté et dénonce les diktats des puissants. Mick Jagger réussit donc à écrire les paroles de "Satisfaction", en partant de son point de vue, celui de la jeunesse. Philippe Margotin, co-auteur du livre Rolling Stones, la totale (aux éditions EPA), en dira plus tard : "C’est un morceau sur la frustration, sur l’euphorie d’une société d’opulence dans les années 1960 et d’un autre côté les laissés-pour-compte qui ne se sentent pas bien dans cette société." Mick Jagger critique ouvertement la publicité, la société de consommation et toutes les dérives que cela entraîne. Le chanteur ne manque pas également de glisser quelques références sexuelles, car il ne se refait pas, il reste un Stone. Cela contribue d’autant plus à faire des Rolling Stones le fantasme des adolescentes de l’époque et le cauchemar des parents. Mais au-delà de ça, "Satisfaction" devient un hymne contestataire pour tous les jeunes du monde entier. Au moment de la libération des mœurs, le groupe est considéré comme la bourrasque d’air frais, envoûtante et sensuelle, venue d’Europe. Lors de sa sortie, la chanson a été interdite d’antenne sur les ondes du Royaume-Uni, car faisant trop référence à la drogue et au sexe à leur goût. Elle tourne pourtant sur les radios pirates de l’époque. Vingt ans plus tard, Mick Jagger a rapporté : "Cette chanson a été ma vision du monde, ma frustration de tout." Cette même colère a déjà été interprétée par deux idoles des Rolling Stones : Muddy Waters et Chuck Berry. Mick Jagger a d’ailleurs suggéré, plus tard, que Keith Richards avait dû, inconsciemment, s’inspirer de "30 Days" de Chuck Berry : "Je ne dis pas que c’est du plagiat, mais on écoutait souvent ses morceaux."
Les Rolling Stones ont tenté d’enregistrer une première fois la chanson le 10 mai, au studio Chess à Chicago. Un deuxième jour de studio est nécessaire, au studio RCA d’Hollywood. C’est là qu’ils ajoutent la distorsion culte : "ce riff avait besoin de corps", confiera plus tard Keith Richards, "et Gibson venait tout juste de sortir cette petite boîte". Le mélange de batterie de Charlie Watts, la guitare avec le riff entêtant de Keith Richards, la basse de Bill Wyman, l’efficacité de la guitare de Brian Jones et le refrain martelant "I can’t get no satisfaction" de Mick Jagger font de cette chanson un succès incontestable des Rolling Stones. Ils atteignent même la première place des charts américains et européens. Cela leur donne à l’époque une légitimité qui leur ouvre grand les portes de la gloire et de leur future légende.