« Nino Ferrer a toujours connu une carrière en dents de scie. Il y avait des "titres qui ne se vendaient pas bien. Des albums qui marchaient bien".... Et c’est exactement ce qu’il advient avec « Le Sud », écoulé à plus d'un million d'exemplaires et demeuré le dernier grand succès d'Agostino Ferrari.
Un succès dont la genèse peut surprendre.
Contre toute attente, ce ne sont nullement ses origines italiennes, il naît à Gênes en 1934, qui lui inspirent « Le Sud ». Ce sont en réalité les cinq premières années de sa vie passées en Nouvelle-Calédonie, où la famille de sa mère s’établit dans les années 1880 comme colons, auxquelles fait référence Nino Ferrer qui précise d’ailleurs plus tard « Je suis depuis toujours poussé à traduire en langage artistique les émotions qui me bouleversent ».
Et c’est depuis La Martinière, sa demeure de Rueil- Malmaison acquise en 1968 et qui n’est pas sans rappeler le charme indolent des résidences du vieux Sud-américain, que celui qui est devenu un dandy pour qui la cravate est indissociable de la pochette, comme le panama du cigare, rêve et finalement réalise cette ode à l’Archipel d’Océanie.
« Je vis d'une façon nonchalante, souvent libertine dans une très grande maison vétuste et baroque à l'Ouest de Paris ».
Depuis son retour d’Italie et après avoir demeuré Quai Louis Blériot puis loué un studio à Boulogne, l’éternel insoumis, qui s’affranchit des conventions et n’entend rien ou presque au show business, « Moi je ne veux pas être un produit, je veux faire mon truc artisanalement, comme je le sens, et passionnément » dit-il, s’y est installé.
A la Martinière, celui qui a entretenu une brève liaison avec Brigitte Bardot en 1970, est entouré de son assistante, Jacqueline Monestier, dite Kinou, qui n’est pas encore son épouse, ainsi que de Radiah Frye, une jeune mannequin américaine.
Ce fin connaisseur du jazz, qui accompagne Nancy Holloway ou encore Bill Coleman et définit ainsi sa méthode de travail : « J’ai une seule ambition, faire la musique que j’aime avec les gens que j’aime », se lie également d’amitié avec le guitariste irlandais, Mickey Finn.
Après une première rencontre en 1972, le musicien fréquente assidument la Martinière et plus particulièrement son studio d’enregistrement, où il joue également avec son groupe, les Leggs.
Le « South » dans l’ombre de la lumière de « Le Sud »
La version initiale de « Le Sud », qui sort en 45T en 1975, voit d’abord le jour en anglais, sous le titre « South ». Barclay, la maison de disques de Nino Ferrer, qui fustige une certaine cyclothymie de l’auteur, compositeur, interprète et producteur de la chanson ne veut pas du morceau qui a pourtant déjà fait l’objet d’une maquette réalisée en Angleterre.
Qu’à cela ne tienne, Nino Ferrer, qui ne se soucie pas d’être ou non dans l’ère du temps et de répondre aux désidérata commerciaux qui lui apparaissent superflus ou incongrus, rejoint CBS.
C’est grâce à son ami, le musicien et producteur Richard Bennett, rencontré en 1953, que Nino Ferrer, alors désireux d’enregistrer un album à deux voix avec Radiah Frye intègre la maison de disques.
CBS lui permet de sortir cet opus. Intitulé « Nino & Radiah », il s’ouvre sur « The South », « dont l’orchestration est beaucoup plus lente et beaucoup plus sulfureuse avec un piano prédominant » précise Frédéric Feder en comparaison à la version française dotée « d’une orchestration plus ampoulée, plus pleine et plus fournie, soit une chanson plus rapide ».
Du scandale à la censure
« The south » est enregistrée dès novembre 1973 alors que les sept autres titres du disque sont, eux, gravés en janvier 1974.
Au grand dam du chanteur, l’album, qui sort cette même année et sur lequel ne figure pas « Le Sud » dans sa version française, ne rencontre pas le succès escompté, ne se vendant qu’entre 30.000 et 60.000 exemplaires.
Il faut attendre la version française du « South », qui devient « Le Sud », pour que la chanson devienne le succès que nous connaissons… Plus d’un million de copies écoulées.
Vents contraires au « Sud »
Le titre, lui, fait l’unanimité. Par-delà les ventes, un million d’exemplaires écoulé, le morceau est repris à moult reprises avec plus ou moins de succès.
Parmi les versions qui retiennent l’attention celles de : Michel Delpech, Bernard Lavilliers, Alain Bashung ou encore Zebda.
Outre ce succès commercial et cette reconnaissance, « Le Sud » permet aussi à l’artiste, déjà adepte des voitures de luxe et plus particulièrement des Bentley, de s’offrir, en 1976, La Taillade, la fameuse bastide perchée dans le Quercy Blanc, près de Montcuq.
Et c’est dans un champ, à quelques kilomètres seulement de la Taillade, acquise avec les royalties de « Le Sud », que l’élégance de l’éloquence de Nino Ferrer est entachée à jamais.
Celui dont le premier disque a été « Pour oublier qu'on s'est aimé » (1963) vise le cœur. Il se suicide le 13 août 1998, deux mois après une disparition insurmontable pour lui, celui de Mounette, sa mère, deux mois plus tôt.