Francis Cabrel, artiste engagé
Né à Agen en 1953, Francis Cabrel est un auteur-compositeur et interprète français. Ses plus de 20 millions d'exemplaires vendus en France en font l'un des chanteurs français les plus populaires de sa génération. Depuis le début de sa carrière au milieu des années 1970 et jusqu'à aujourd'hui, l'artiste n'a cessé de s'engager auprès de causes nobles, notamment à travers les textes de ses chansons, mais aussi à travers ses actions. Il a notamment participé aux "Restos du Cœur" en rejoignant les "Enfoirés" à de nombreuses reprises et a également fondé l'association "Voix du Sud" dans l'objectif d'aider les jeunes auteurs, compositeurs ou interprètes de chansons à percer dans le métier. Au fil des ans, Francis Cabrel a prêté sa voix pour de nombreuses causes humanitaires. Il a par exemple participé à "SOS Éthiopie" en 1985 ; puis à "Urgence : 27 artistes pour la recherche contre le Sida" en 1992, ou encore à l'album "Noël ensemble" en 2000 aux côtés de Pascal Obispo. Mais l'un des plus grands engagements de sa carrière concerne sa lutte contre la corrida. En 1994, le chanteur sort le titre "La Corrida", poignant plaidoyer contre la tauromachie.
"Samedi soir sur la terre"
Sorti le 6 avril 1994, "Samedi soir sur la terre", huitième album de Francis Cabrel, a été vendu à plus de trois millions d'exemplaires aux quatre coins de la planète, devant rapidement disque de diamant et faisant partie des albums les plus vendus en France. En dehors de "La Cabane du Pêcheur", tous les titres de l'album ont été composés et écrits par l'artiste. C'est d'ailleurs "Samedi soir sur la terre" qui lui a permis de se faire connaître à l'international et de faire partie de ces artistes qui s'exportent à l'étranger. Parmi les titres qui rencontreront le plus de succès, il est notamment possible de citer "La Cabane du pêcheur", "Je t'aimais, je t'aime, je t'aimerai" et "Octobre". Mais la chanson phare de cet album demeure bien sûr "La Corrida", qui fera d'ailleurs partie des chansons les plus engagées de Francis Cabrel. Dans son texte incisif, l'artiste dénonce cette pratique en affirmant "Quand la corrida avance, c'est l'humanité qui recule".
De la composition à la sortie de La Corrida
C'est après avoir assisté à une corrida lors d'un séjour à Bayonne que Francis Cabrel décide d'écrire la chanson "La Corrida". Sur le chemin du retour, l'artiste s'arrête au bord de la route et enregistre dans son dictaphone quelques paroles comme "Ce soir, la femme du torero dormira sur ses deux oreilles", puis enchaîne avec "depuis le temps que je patiente dans cette chambre noire. J'entends qu'on s'amuse et qu'on chante au bout du couloir". Ce n'est que trois ans plus tard qu'il rajoutera le leitmotiv "Est-ce que ce monde est sérieux ?". De retour chez lui, Francis Cabrel réalise la maquette du titre puis enregistre la version finale au studio Polygone en collaboration avec Nicolas Reyes des Gipsy Kings pour les chants en espagnol à la fin de la chanson. C'est finalement en 1994 que "La Corrida" sortira dans les bacs, intégrée à l'album "Samedi soir sur la Terre". Cette même année, la chanson sera éditée en single et se vendra à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires, marquant un tournant plus engagé dans la carrière du chanteur.
Un hymne anti-corrida profondément engagé
La chanson "La Corrida" est un plaidoyer subtil et profond contre la tauromachie et la pratique de la corrida en France et en Espagne. Le point de vue même du titre suffit à comprendre le message puisque le personnage central, le protagoniste plus exactement, n'est pas le toréador, mais le taureau lui-même. Ce dernier doit faire face à son bourreau devant une foule spécialement venue le voir mourir dans l'arène. Dans le texte de sa chanson, l'artiste déclare "Je ne pensais pas qu’on pouvait autant s’amuser autour d’une tombe", une phrase qui prend tout son sens pour quiconque a déjà assisté à une corrida. Dans son titre, Francis Cabrel dénonce ces traditions anciennes qui prônent la souffrance et la cruauté. Là où la culture devrait nous éloigner de la barbarie, elle se dresse ici contre le bien-être des animaux. À travers ses paroles, l'artiste essaie de faire prendre conscience à ses auditeurs que le sadisme et la cruauté de l'homme l'ont poussé à imaginer et à faire perdurer ce genre de tradition pourtant néfaste. Le morceau, couché sur une musique entraînante et chargée en émotion, deviendra l'un des réquisitoires les plus célèbres de la chanson française. Il pousse à se poser une question fondamentale : l'existence d'une coutume ou d'une tradition depuis plusieurs siècles justifie-t-elle la pertinence de sa présence aujourd'hui ?
Une interprétation saluée aux Arènes de Nîmes
Mais le geste le plus engagé de l'artiste est sans conteste celui qui l'a poussé à oser chanter "La Corrida" lors de son concert aux Arènes de Nîmes. C'est ici, dans cette salle de spectacle grandiose, qu'est organisée chaque année la Feria de Nîmes, une représentation de tauromachie existant depuis la fin du 19e siècle et l'un des spectacles de corrida les plus réputés de France. À l'été 2016, Francis Cabrel vient se produire dans cette salle mythique, à la portée historique particulièrement intense. Pendant deux heures, le chanteur entonnera ses chansons les plus célèbres dans la simplicité et l'humilité qu'on lui connaît. Il interprétera entre autres "L'encre de tes yeux", "Sarbacane", "Petite Marie", "C'est écrit"… Devant un public au complet qu'il qualifiera même de "meilleur public de France". Au milieu du concert, Francis Cabrel ose une interprétation douce et pleine d'émotion de "La Corrida" qui sera, malgré la portée historique des arènes, la chanson la plus applaudie de tout le concert. Tout au long de son interprétation, l'émotion palpable dans le public a soulevé la foule et provoqué un tonnerre d'applaudissements, comme un remerciement à l'artiste d'avoir osé.
"La Corrida", chanson de légende
"La Corrida" fait aujourd'hui pleinement partie du patrimoine de la chanson française. Le titre traverse les âges sans jamais perdre de sa superbe, intégrant tantôt des œuvres littéraires, tantôt des albums d'autres artistes. Les paroles de la chanson sont en effet régulièrement reprises dans la littérature française comme "Petits meurtres entre associés" de Bruno Perera ou "L'intégration-alibi, une guillotine sociale : réplique pour une socioéthique" de Seydou Beye. Le leitmotiv "Est-ce que ce monde est sérieux ?" est également régulièrement utilisé en tant qu'épigraphe, notamment dans "Expliquer l'acquisition du langage : caveats et perspectives" de Jean-Adolphe Rondal.
La chanson a aussi été reprise par d'autres artistes, tombés sous le charme non seulement de ses paroles engagées, mais aussi de son rythme entêtant. Le chanteur Kabyle Idir en a notamment proposé une interprétation bouleversante. Les deux artistes se sont d'ailleurs retrouvés ensemble pour interpréter le morceau, qui fait aujourd'hui partie des plus beaux duos de Francis Cabrel. Dans un autre registre, le groupe Tryo propose aussi son interprétation personnelle de "La Corrida" en 2014. En 2001, ce sont les Enfoirés qui se retrouvent autour d'une version émouvante du titre, interprétée par Maxime Le Forestier, Patrick Fiori et Faudel. Enfin, en 2017, c'est l'artiste Julien Doré qui a décidé de marcher dans les pas de Francis Cabrel en interprétant, à son tour, "La Corrida" lors d'un concert aux célèbres Arènes de Nîmes. Une fois encore le succès a été au rendez-vous face à un public conquis.
