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Tout commence dans « L’Express » du 3 octobre 1957, sous la plume de la journaliste, Françoise Giroud. Fondatrice de l’hebdomadaire avec Jean-Jacques Servan-Schreiber, c’est suite à une enquête sociologique sur la génération 1958 qu’elle donne vie à l’expression « Nouvelle vague ».
Repris un an plus tard par Pierre Billard dans la revue « Cine 58 », cette étiquette journalistique désigne désormais cette bande de joyeux cinéastes, nouveaux venus dans le milieu du 7eme art.
Souvent issues des « Cahiers du cinéma », ces apprentis cinéastes décrient le cinéma de papa. Car depuis 1950, c’est le retour d’un cinéma classique, marqué par l’habitude de la censure allemande, et « qui crève sous les fausses légendes » pour François Truffaut.
Les salles noires sont alors remplies des polars noirs d’Otto Preminger, du « Corbeau » d’Henri Georges Clouzot, ou du « ciel est à vous » de Jean Grémillon.
La jeune garde du cinéma français décide alors d’enfoncer les écrans du « vieux » cinéma…
Godard, Truffaut ou Resnais aux avant-gardes
D'abord critiques de cinéma, les cinéastes de la Nouvelle Vague sont avant tout des cinéphiles.
Tels les impressionnistes, qui munis de leurs pinceaux et de leurs chevalets ont mis à mal les repères picturaux traditionnels, la nouvelle vague rompt avec le monde élitiste du cinéma avec une nouvelle manière d'envisager les films.
Jeune cinéaste issus « des cahiers du cinéma », Claude Chabrol ose alors, à la manière d’Orson Welles dans « Citizen Kane », balayer tous les préceptes du vieux septième art avec « Le beau Serge » et « Les cousins ». Un portrait acide de la bourgeoisie française, thème qui deviendra par la suite sa marque de fabrique.
Les cinéastes tournent rapidement et avec peu de moyens. Une mise à mal des conventions qui séduit « les professionnels de la profession » comme aimera à le souligner un peu plus tard Jean Luc Godard…
Et c’est en grande pompe, que la nouvelle vague est consacrée. En plus de la projection de la romance impossible, « Hiroshima mon amour » d’Alain Resnais, le festival de Cannes de 1959 remet le prix de la meilleure mise en scène à l’avant-gardiste, François Truffaut pour ses « 400 coups », ou l’histoire d’Antoine Doinel dans le Paris de 1958, des rues de Clichy au cafés bondés de Montparnasse.
Qui dit nouveau cinéma dit nouveaux choix musicaux, initié par « Ascenseur pour l’échafaud ».
Avec pour seuls éclairages les vitrines des Champs-Elysées, la caméra de Louis Malle suit déambuler Jeanne Moreau sur l’avenue parisienne, le tout sur la musique du grand Miles Davis.
Quant au Jazz de Martial Solal, le film de Jean-Pierre Melville, « Deux Hommes dans Manhattan » et plus particulièrement « À bout de souffle » de Jean Luc Godard lui offrent un espace privilégié.
Une effervescence musicale qui fait mouche… Jeanne Moreau se perd alors dans le tourbillon de la vie de « Jules et Jim » (François Truffaut), Anna Karina pousse la chansonnette dans « Vivre sa vie » (Jean Luc Godard), tandis que Catherine Deneuve fredonne la partition de Michel Legrand dans « Les parapluies de Cherbourg » (Jacques Demy).
Des acteurs phares
La nouvelle vague marque aussi l'arrivée d'une nouvelle génération d'acteurs : Brigitte Bardot, Anna Karina, Jean-Claude Brialy, Jacqueline Bisset, Jean-Pierre Cassel, Jean-Pierre Léaud, Jean Seberg ou encore Jeanne Moreau.
Désormais, les grandes histoires se font devancer par les anecdotes de la vie quotidienne, avec pour principe : moins de héros et plus de petites gens.
C’est ainsi que Jean-Paul Belmondo, au visage de jeune premier arrogant et indiscipliné, lance dans « A bout de souffle » son : « c’est vraiment dégueulasse ». Entre pique-assiette cynique, provocateur, son personnage Michel Poiccard réinvente une jeunesse autrefois représentée par le Gabin des « Quai des brumes ».
Claude Chabrol fait de Bernadette Lafont son actrice fétiche, lui offrant son rôle controversé dans « Les bonnes femmes », tandis que Catherine Deneuve et Nino Castelnuovo forme un duo de charme dans « Les Parapluies de Cherbourg » de Jacques Demy , film qui obtient la palme d'or à Cannes en 1964.
Un projet commun
La construction du scénario est de moins en moins linéaire, transgressant la loi du cinéma narratif classique, notamment dans le haletant « A bout de souffle ».
Allongé sur le lit d’un hôtel parisien, Jean Paul Belmondo lance son « souris moi » à Jean Senberg, balayant les règles de continuité du cinéma de papa, et Jean Luc Godard se faisant un malin plaisir à découper les blancs des dialogues.
Caractéristique du mouvement : son opposition aux films dits « studio ». En tournant rapidement et avec peu de moyens, cette jeune équipe descend dans la rue, montrant des extérieurs et intérieurs naturels.
C’est un Paris sous toutes ses coutures avec ses Champs Elysées de noir et blanc, ses néons, ses jazz et cafés de Montparnasse. Une liberté de réalisation en partie due à l’apparition de caméras légères, et de pellicules plus sensibles.
Plus un retour aux fondamentaux donc, qu’un renouveau cinématographique : Hommage aux polars secs importés d’Hollywood, de scènes de rue en scènes de chambre pour Jean Luc Godard, tandis qu’Eric Rohmer s’amuse des jeux et des hasards amoureux, confirmant que « l’invention passe bien par la convention », selon les mots de Godard.
Certains cinéastes refusent d’être associer aux mouvements, tels Maurice Pialat ou Claude Lelouch. Ces détracteurs de la nouvelle vague la jugent opportuniste et coupable de la mort d’un certain cinéma populaire de qualité.
Le symbole d’une époque
La nouvelle vague c’est aussi une époque, celle « pré soixante- huitarde ».
La musique se fait provocatrice, incarnée par « l’homme à la tête de choux », Serge Gainsbourg.
Tant au niveau hexagonal qu’international, la culture est en pleine effervescence et tire sur la corde provocatrice, d’un Julien Clerc scandaleux apparaissant à moitié nu dans « Hair », à Bob Dylan et son « Blowin’ in the wind », en passant par John Lennon pour qui « Les Beatles sont plus importants que Jésus ».
La littérature se fait plus libre. Alors que les jeunes français découvrent " Le deuxième sexe ", de Simone de Beauvoir, donnant une nouvelle impulsion au féminisme, des milliers d’ Américains se plongent dans les errances de Jack Kerouac dans « Sur la route », livre clef de la beat génération.
Même la politique s’en mêle avec Pompidou, qui en référence à la chanson « Les Cactus », déclare à l’Assemblée nationale « Comme le dit Jacques Dutronc : il y a un cactus », tandis que les baby-boomers voient arriver le jeune sénateur John Fitzgerald Kennedy à la tête de la présidence des Etats-Unis.
Une nouvelle vague surtout manifeste d’une époque aux yeux de Truffaut : « C'était un groupe comme il existe en littérature ou en peinture, mais un groupe sans programme esthétique commun, qui était partisan de rajeunir le cinéma, de faire des films plus personnels ».
Un héritage international
La nouvelle vague n’est pas une exception française. Cette liberté artistique s’était amorcée dès 1957 avec « Shadows » de John Cassavetes, parcours initiatique des bars New Yorkais aux ruelles japonaises.
Et bien que « Le Mépris » de Jean Luc Godard amorce la fin de la nouvelle vague en France, celle ci continue à déferler Outre-Atlantique.
Quentin Tarantino baptise même sa société de production « A band apart » en hommage à « Bande à part » de Jean Luc Godard, tandis que le réalisateur James Gray vante « la proximité des réalisateurs de la Nouvelle Vague avec leurs personnages ».
En France, l’héritage de ce mouvement cinématographique reste encore vivace un demi siècle après sa naissance, avec parmi ses successeurs, des figures telles que Roman Polanski ou Bertrand Blier.
Un cinquantième anniversaire que célèbre aussi le monde du cinéma. Quelques-uns des éminents représentants du mouvement étaient encore présents lors du 62e Festival de Cannes: Alain Resnais, en compétition officielle et Luc Moullet à la Quinzaine des Réalisateurs.
Cécilia Delporte