Le succès de " Le Pénitencier " réside pour beaucoup dans la géniale adaptation du texte en Français, confiée à l’époque à Hugues Aufray. En exclusivité pour nostalgie.Fr, l'interprète de " Santiano" nous conte l’histoire de cette grande chanson.
1964, c’est l’année de tous les dangers pour Johnny Hallyday. Après 3 ans de succès ininterrompu et une dernière tournée rock’n’roll comme jamais avec Joey & the Showmen, l’idole doit partir sous les drapeaux.
Certes Johnny Hallyday obtient de pouvoir poursuivre ses enregistrements pour Phillips, le temps de quelques permissions, mais dans un monde yéyé où chaque mode se renouvelle tous les six mois, l’aventure reste périlleuse.
De plus, l’armée a fort bien compris l’intérêt en terme d’image qu’elle pouvait tirer de l’incorporation du soldat le plus célèbre de France, à l'instar d'Elvis Presley aux Etats-Unis.
La guerre d’Algérie s’est terminée à peine deux ans plus tôt. De fait, Johnny Hallyday se comporte en soldat modèle. Au risque d’écorner son image de rebelle ?
Comment alors donner au public le reflet d’un chanteur retenu loin de ses fans sans froisser la grande muette ? Sans déchirer cette image de bon garçon qui commence à lui attirer un public plus large encore ? Le salut va venir d’une chanson mythique, « Le Pénitencier », un titre phare de la carrière de l’idole. C’est à Hugues Aufray que l’on doit ce tour de force. Car, à la base, rien ne semblait promettre cette adaptation d’un traditionnel du folklore américain à un tel destin.
De « The House of the Rising Sun » au « Pénitencier »
En effet, « The House of the Rising Sun » qui triomphe en version électrique à l’été 64 interprétée par les Animals, raconte l’histoire d’une jeune fille de la Nouvelle Orléans dont la mère coud des blue jeans, le père est alcoolique et le frère est accroc à la cocaïne. Pour échapper à son destin, elle exerce à « La Maison du Soleil Levant », un bordel de la nouvelle Orléans. Bob Dylan l’a chantée sur son premier album et les Animals d’Eric Burdon ont déjà édulcoré le texte.
A l’époque où tous les Yéyés recyclent le répertoire rock américain, Hugues Aufray est le spécialiste de l’adaptation du répertoire folk en France. Il est le premier à s’intéresser à un Bob Dylan.
« Je connaissais Carlos, à l’époque secrétaire de Johnny Hallyday, depuis l’âge de 15 ans. C’est lui qui m’a écrit pour me dire que Johnny Hallyday souhaitait adapter le tube des Animals en Français, et qu’il me demandait d’en assurer la traduction », confie Hugues Aufray à Nostalgie.fr.
Le folkeur français a fait la première partie de l’idole des jeunes à l’Olympia au printemps 1964. Il est la seule vedette à lui rendre visite dans sa caserne en Allemagne.
Le coup de génie d'Hugues Aufray
Hugues Aufray reçoit la lettre alors qu’il est en tournée en Suisse. « J’étais dans un hôtel de Genève, le Rochemont, se souvient-il. Un palace à l’ancienne. Evidemment, quand j’ai reçu la lettre, le texte était à rendre pour le lendemain ou quasi. Mais moi je suis un laborieux, il me faut du temps. »
Par chance, le french troubadour a emmené en tournée sa collaboratrice habituelle, Vline Buggy.
« On travaillait souvent sur de nouveaux titres durant les tournées. On s’est donc attelé immédiatement à la tâche. Mot à mot le texte était intraduisible. On a essayé d’en garder le fond, mais ça n’allait pas. Cette histoire de prostitution ne collait pas au Johnny de l’époque. »
Après une nuit de travail, les auteurs ne trouvent pas la solution. C’est le lendemain, qu’Hugues va avoir l’idée de génie. « J’ai décidé de faire de Johnny un jeune marginal, un peu rebelle mais sympathique. » L’histoire d’un jeune garçon que quelques méfaits contraignent à abandonner fiancée et mère éplorées pour rejoindre la prison, ou plutôt le Pénitencier, terme plus imagé qui contribue à situer l’histoire hors du temps.
Le personnage de James Dean et « La Fureur de Vivre » sont là, entre les lignes.
« Les chansons de Johnny étaient jusqu’alors des histoires de surprise party, des bluettes yéyé. Pour la première fois il incarnait un personnage social. Cela lui donnait une identité différente. »
Un nouveau Johnny Hallyday est né
Pour la première fois aussi - géniale trouvaille d’Hugues Aufray - Johnny Hallyday revêt l’habit viril du combattant meurtri et enchaîné, qui de « Que je t’aime » à « Marie » fera le sel de sa carrière.
Le succès est immense. Hugues Aufray en est ravi pour son ami mais garde au fond de lui un regret : ne pas avoir restitué en Français le fantastique aspect social du texte d’origine.
Il écrit alors une nouvelle version « L’Hôtel du Soleil Levant » où il se met dans la peau d’un ancien « client » de cette pauvre fille et conte son histoire. Il essaie de la glisser dans son propre album « Caravane », un disque country sorti au début des années 80. Mais peu satisfait des arrangements, il ne la sort pas.
Plus de 30 ans plus tard, Hugues Aufray, un temps sans contrat, retrouve une maison de disques, grâce à l’intervention de Johnny Hallyday auprès de Pascal Nègre.
Le PDG d’Universal demande alors à Hugues Aufray d’inclure « Le Pénitencier » dans son album « Troubadour Since 1948 ».
Le chanteur accepte à condition d’enregistrer aussi sa seconde traduction.
Les deux versions cohabitent à merveille. « Maintenant mon rêve serait que Johnny chante cette version. La prostitution est devenue un problème mondial avec ces filles qui viennent de l’Est, d’Afrique ou d’Asie dans nos rues. Et Johnny Hallyday aurait la crédibilité pour chanter un titre pareil. La même crédibilité qu’il avait en 1964 pour chanter "Le Pénitencier" », confie Hugues Aufray.